Variations et fugue d'un dragon mélomane
Les clichés ont ceci de particulier qu'ils
trimballent des
évidences qui n'en sont que pour celui qui en est convaincu
mais que l'on est bien impuissant à combattre, faute de les
partager... Peste que cela est confus ! Il faut dire que j'ai parfois
du mal à y voir clair moi-même. Parfois j'en viens
à me demander si je ne devrais pas laisser la Tarquine
être un personnage de roman. Lui dresser une autre vie, une
dont je serais bien certaine qu'elle n'est pas moi. La faire entrer
dans la fiction pour laisser l'autre exister.
Mais je sais trop bien que cela n'y changerait rien.
C'est bien trop humain.
On s'avise de l'autre en le mettant dans des cases. En lui imputant ce
que sa condition démontre.
Et je suis sans doute comme les autres.
Mais qu'est-ce que j'en ai soupé de ces
vérités implacables qu'on vous plaque au
prétexte de votre propre histoire !
Qu'est-ce qu'ils me fatiguent ces postulats dont on brosse
hâtivement ma vie sans se soucier un seul instant de leur
réalité.
Car par principe une évidence ne se met pas en doute, elle
est acquise avant même que vous ne puissiez la combattre.
Que ressentaient-ces femmes qui prêtaient serment et
administraient en toute liberté, toute
indépendance
les affaires de leurs clients mais qui, parallèlement
étaient considérées de par la loi
comme des incapables ne pouvant agir pour les biens de leur propre
ménage que sous la tutelle de leur mari ?
J'ai souvent pensé à elles quand du jour
où je l'ai perdu, certains doutaient même du fait
que je sache remplir par moi-même un formulaire. Proposer son
aide à tout prix pour trouver un remède au vide
que l'on ne sait combattre, pour être gentil, parce que l'on
ne sait pas quoi faire, alors on propose n'importe quoi. Je disais non
gentiment. Je disais non tout le temps. Je ne voulais pas que l'on me
dépossède de ma vie. Non j'étais
toujours la même éprise d'indépendance.
Non je n'avais besoin de personne pour élever mes enfants.
Non il n'était pas question que quiconque
déménage. Non je ne revendrais pas cette
énorme bagnole que je n'avais jamais conduite et que
j'étais même infoutue de sortir du parking.
J'apprendrais. Non je n'arrêterai pas de faire de la
bicyclette au prétexte que maintenant c'est trop dangereux.
Ce n'est pas parce que mon quartier compte dorénavant un
conducteur de moins que le danger est plus grand... Et tu ne
vas pas
arrêter de fumer maintenant ? Tu vas te démolir,
il vient juste de mourir. Et puis tu ne pourras jamais tenir : ta
mère est en train de mourir ! Mais avoir envie
d'une clope,
envie à en pleurer, cela ne pourra que me changer les
idées ! Cela me divertira de cet endroit où je ne
veux pas me noyer ! Et puis si je ne n'y parviens pas, nul ne s'en
souciera. Et même aujourd'hui quand j'ai encore envie de
cloper, je sais que c'est la meilleure chose qui peut m'arriver : c'est
que la mélancolie n'est pas très loin. Penser
à combattre me convient mieux que de me laisser y glisser.
Et puis, arrêter de travailler.
Et puis j'aurais de nouveaux parents puisque les miens
n'étaient plus.
Et puis ma famille m'entourerait de son affection.
Et puis je n'aimerai plus jamais.
Et puis je vois un père dans tous ceux qui pourraient entrer
dans mes draps. Histoire de caser mes trois marmots et de leur offrir
un substitut à ce qu'ils ont perdu.
J'ai rayé ma bagnole (pas trop) et je ne la gare pas
toujours très bien mais j'aime y chanter à
tue-tête avec mes enfant sans même plus penser au
fait que je n'en avais jamais tenu le volant. Mon travail m'a
apporté la plus belle chose qui me soit arrivée
depuis la mort de mon mari. Un truc qui me fait battre le coeur plus
que je ne l'aurais jamais imaginé. Je fuis
dorénavant comme la peste tout ce qui ressemble de
près de loin à une famille. Aimez-vous entre
vous. J'en suis profondément admirative. Je vous envie
même un peu. Mais ne me demandez jamais d'être
ailleurs qu'à son aphélie. Là
où plus jamais on ne me fera du mal. Bien trop loin pour que
je sois blessée par ses impérities. Et puis il se
trouve aussi que sans doute terriblement abusive je n'ai pas du tout
envie de partager mes enfants. J'en ai soupé trois mois.
Cela m'est insupportable. Je ne comprends pas bien pourquoi. Je devine
confusément que cela m'est aussi intolérable que
lorsque quelqu'un s'est avisé de prendre la place de mon
propre père. J'ai rué. De toute mes forces. Et
puis j'ai même aimé de nouveau. Un sale con. Pas
un con de dépit. Non, un vrai de vrai, un à la
bêtise plus épaisse que la couche de nutella que
Tarquinou étale sur ses pains au lait ! Mais je
l'ai aimé quand même... Même que j'en
suis pas fière... Qu'ils me dégoûtent
ces regards qui ne voient que le vide. Un grand vide dans leur
schéma bien étriqué. Le vide de ma vie
et la place de leur nombril. Et moi je tombe toujours des nues. Je ne
vois rien. J'apprendrais peut-être un jour à
comprendre que ce qui est évident pour moi, ne l'est pas
pour les autres. Regarder le monde à travers mon appareil
photo n'est pas un mauvais choix. Quand j'enlève le prisme,
j'ai l'impression d'être une martienne : je ne suis pas la
somme des clichés dont on m'a tiré le portrait !
Las, on ne soulignera jamais assez l'extrême
solitude du dragon pusillanime...



Je n'ai foutrement aucune idée de savoir si ce billet sera encore en ligne demain...



Ces scribouillages sont librement inspirés des suites pour violoncelle de Bach dont il faut bien admettre qu'elles constituent l'une des merveilles que nous offre la vie terrestre (moi je ne crois pas au Paradis). Tous mes remerciements à Monsieur Anner Byslma qui s'en est fait le talentueux truchement.



Et je rajoute en toute illégalité, à
la demande de Vroumette à qui je ne
sais rien refuser, un extrait de cette divine ambroisie :
Johann Sebastian Bach — Suite
for solo cello No. 5 in C minor, BWV 1011: Prelude — Anner
Byslma



C'est ce que Veuve Tarquine a écrit le 17/02/2007
Tréfonds et sentiments
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Commentaires
Très joli billet... Vous êtes une source de fraicheur sur le net. Surtout chère consoeur ne le retirez pas !
Merci, Dame Tarquine, ce billet mériterait d'être épinglé dans les billets remarquables.
Sans doute une histoire de faille spatio-temporelle tout ça !
"Pusillaline" => et hop, un nouveau mot à mon vocabulaire (oui, oui, j'assume de faire encore des découvertes). Du coup, je trouve l'association de ces deux mots "dragon" et "pusillaline" très rigolote.
Qu'il soit éphémère ou fait pour durer, j'ai juste un petit regret sur ce billet, que tu ne nous aies pas mis un ptit extrait des suites pour Violoncelle (chuis chiante hein), car j'adore quand tu ponctues tes billets de ces bonus, je découvre ainsi plein de choses.
@Vroumette : pusillaNiMe, enfin - tu me le copieras 20 fois, pour que ça rentre !
(moi, c'est "aphélie" que j'ai cherché sur ATILF ...)
Vroumette, c'est fait !
"aimer" "un con", 2 preuves que tu es libre : j'ai bien ri
@Tarquine : merciiiiiii. C'est quand même fou d'avoir attendu si longtemps pour découvir l'opéra et la musique classique, mais depuis 2 ans je me délecte de ces extraits. Je ne sais pas toi, mais le violoncelle me donne souvent envie de pleurer, comme s'il prenait aux tripes.
@Bladsurb : je m'exécute : pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe, pusillaniMe (je peux sortir de ma chambre maintenant ?)
Je passe parfois sans rien dire mais cette fois je ne peux pas me taire. Tarquine, ton message m'a émue au fond de moi, tout au fond... Malheureusement je n'arrive pas à écouter Bach pour accompagner ma lecture...
Malheureusement je n'arrive pas à écouter Bach pour accompagner ma lecture... Il y a avait un point surnuméraire dans une ligne de code, j'espère que dorénavant cela fonctionne.
Ça fonctionne. Et j'en profite pour dire ma solidarité de genre au vrai con et à l'auteur de la suite pour violoncelle !
Mais que vient faire le genre dans cette affaire ? Vous sous sentez donc solidaire de tous les cons au prétexte qu'ils ne sont pas femmes ? Diable, c'est une terrible fatalité que cela !
J'avoue cependant éprouver une solidarité de genre pour toute femme qui tombe amoureuse d'un homme qu'elle croit sincère et se réveille quelques temps plus tard en compagnie d'un con (vu l'étymologie du mot ça peut sembler un peu étrange, d'ailleurs, si l'on y pense). Comme souvent, en transposant puisqu'il me reste après tout une mère et un mari, je me reconnais dans ce que tu écris. Je me rends compte aussi que je suis à présent un dragon abattu. Le seul côté par lequel j'avais confiance en la vie a été lui aussi attaqué et je n'ai su ni voir venir ni parer le coup. Il m'est arrivé au printemps dernier de ne plus savoir remplir un formulaire (je doutais si fort d'avoir encore une place sur cette planète présente). Et à présent je perds tous les papiers (administratifs).
Enfin je suis heureuse de connaître au moins une personne qui n'adhère pas à ce précepte de nos sociétés occidentales qui semble créer une obligation sociale de déménagement après un deuil. Il est évident que pour de nombreuses personnes vivre dans les lieux qui furent partagés est difficilement supportable. Mais il faudrait voir à respecter que ce n'est pas le cas de tout le monde. Qu'on peut au contraire se sentir moins douloureux à ne pas rompre "géographiquement" avec le passé, mais au contraire à assumer de la vie une certaine continuité malgré les ruptures qu'elle nous inflige.
chère veuve Tarquine, je visite votre blog depuis quelques semaines, sans jamais laisser de commentaires. peur de ne pas être à la hauteur de votre prose ou simple fait de ne pas vouloir troubler votre intimité que vous nous livrez, certes avec beaucoup de pudeur et de poésie. l'envie ne m'en a pourtant pas manquée, comme cette fois où je voulais vous laisser mon numéro de téléphone au cas où vous auriez encore une frayeur avec tarquinou et vos 2 grands tous seuls à la maison. mais j'ai bien compris que c'était inutile, et votre billet de ce jour le démontre bien. aujourd'hui je voulais simplement vous dire que, bien que "archétype de la famille" (mariée, jeune maman, consoeur, maison en banlieue et tous les clichés...), vos propos résonnent étrangement en moi. vous dîtes que vous fuyez la famille : sachez juste que tout ce que vous racontez sur votre quotidien et vos états d'âme me conduisent à me poser des questions, et parfois à savourer certains moments encore plus fort en pensant "et si moi aussi ?" alors merci pour ça. je vous souhaite de continuer, même si vous n'avez pas besoin de mes bons voeux.
Je viens,je lis,je repars...je reviens,je relis,je repars...aujourd'hui,peut etre pour les mots sur la famille,sur la difficulté quand on est "dehors" d'aider, sur les vérités implacables,je m'arrète pour vous dire ,combien je suis émue par vos mots,dans ce billet et dans les autres.Merci.joelle
Je vous lis souvent, je savoure vos photos tout aussi souvent, sans vous le dire. Mais ce soir, je ne peux pas vous voler ce texte, alors je l'accompagne de ce mot : MERCI à savoir si bien dire, à savoir si bien écrire pour nous les voleurs souvent muets.
Cet après-midi je me sens frustré: j'aurai bien écouté Bach et sa 5ème suite mais ça amrche pas ! Viviement que je rentre pour l'écouter tranquillment chez moi !
Vous fuyez la famille. J'en vois, j'en entends tellement, de gens qui ont claqué la porte au nez de la leur. Même la mienne se déchire. Ca me brûle, j'essaye de me boucher les oreilles... evidemment, rien à faire.
Est-ce donc là un passage obligé? Est-ce vain d'espérer un peu plus chaque jour une paix durable entre mes soeurs et moi? Entre mes enfants, plus tard?
"Tu ne sais pas conduire" me disait mon mari autrefois, "tu n'avances pas assez vite!" me reprocha-t-il, pas longtemps encore avant notre divorce.
J'avancais à mon propre rythme.
Un deuxième mari ne savais pas conduire du tout, c'est moi qui a du l'emmener partout où il allait. Et, maintenant, après ma retraite et après mon 70e année, quand mon oncle avait besoin de moi, j'ai pris ma voiture et je suis allée tout seule de Paris à Budapest et de là en Transylvanie: il a réussi à fêter là le 70e anniversaire de son bacalauréat.
Et moi, prendre reconfiance en moi.
Des "cons" j'ai connu et comme toi, je ne l'ai jamais regretté. Je me les suis pardonnée. Même celui qui, entre mes deux ex(maris) a profité de moi et vécu trois ans sur mon dos. Je l'ai aimé, moi, même s'il ne m'a pas aimé sincérement ou longtemps. C'était un peu moins facile à se pardonner, mais j'ai réussi.
Votre (ton) billet est beaucoup plus profond qu'il parait à la première vue. Merci de m'avoir fait réfléchir. Réagir.
J'étais au Maroc il y a un mois, les femmes n'ont peut être beaucoup des droits, mais oh, combien elles travaillent. Et aussi dirigent plus que cela a l'air de l'extérieur. Comme les femmes de jadis. Elles le faisaient plus discretement, c'est tout. Enfin, celles qui savaient comment.
mon album favori, tourne en boucle jusqu'a ce que le petit hurle et mette ses comptines.....